"La première fois que j’ai mis les pieds au Palais du
commerce, c’était au milieu des années soixante pour la Foire internationale du
livre de Montréal. J.Z. Léon Patenaude
avait mis son habit de grand zouave de côté, avait rompu avec Jean Drapeau et
se vouait à la cause sacrée du livre en compagnie de Jacques Hébert et de
Pierre Tisseyre. Aussi mégalomane que le
maire de Montréal, J. Z. Léon Patenaude rêvait de concurrencer en Amérique la
Foire de Francfort, haut lieu de rencontre de tous les éditeurs du monde.
Mais la réalité québécoise de l’édition était loin d’être de
ce bord-là des choses et, à défaut d’accueillir les grandes maisons étrangères,
la Foire internationale du livre de Montréal ouvrit le Palais du commerce aux
tireurs de bonne aventure : entre le stand des Éditions du jour et celui
du Cercle du Livre de France, on entrait dans un tunnel. Au bout de ce tunnel, un autre stand où vous
attendaient la carte de votre ciel, la boule de cristal et l’excitant jeu du
tarot. On y retrouvait peut-être Kafka
et Beckett mais c’était de façon tout à fait absurde, pour ne pas dire entre
les lignes.
Cette première expérience m’ayant plutôt désenchanté, je ne
serais sans doute plus retourné à une foire ou à un salon du livre. En 1968 toutefois, Jacques Hébert fit de moi
son adjoint aux Éditions du Jour. J’avais
à peine pris possession de mon bureau qu’il me fallut déjà décabaner pour Québec
où se tenait un Salon du livre. Avant de
m’y rendre, je devais prendre à son hôtel l’écrivain français jean Duché. Non satisfait de me considérer comme son
chauffeur attitré, il me demanda aussi, et plutôt avec arrogance, de porter ses
bagages ! Jusqu’à Québec, Jean Duché ne m’adressa pas la parole une seule fois :
il ne parlait pas aux Sauvages, il les étudiait. Mais quand Jacques Hébert lui apprit que j’étais
son adjoint, vous auriez dû voir la tête de Jean Duché : s’il avait pu
disparaître sous la pile de livres devant lesquels il était assis, il l’aurait
fait.
Pour ma part, j’avoue que l’attitude de Jean Duché n’a pas
amélioré mes rapports, déjà plutôt froids, avec les écrivains français et leurs
éditeurs. En plus de contrôler plus de
80 % du marché québécois du livre, ils étaient sinon outrecuidants du moins
condescendants avec nous, les aborigènes.
Ils étaient à eux seuls toute la littérature et ce qu’ils attendaient de
nous, c’était que nous leur servions de faire-valoir. Même le grand Bernard Pivot n’échappa pas à
la règle. Quand il visita le Salon du
livre de Québec en 1981, il se retrouva devant Yves Thériault qui, au stand de
ma maison d’édition, dédicaçait ses ouvrages.
Yves Thériault faillit s’étouffer de rage quand le grand Bernard Pivot
lui demanda : « À part « Valère et le grand canot »,
avez-vous écrit autre chose ? »
À la décharge des Français, disons que certains Salons du
livre auxquels j’ai participé ne pouvaient que les conforter dans leur attitude
un tant soit peu méprisante. Au Salon du
livre de Québec toujours, on exhibait des poumons noircis par la nicotine dans
de gros bocaux de formol, on accueillait à bras ouverts les extraterrestres, la
société du Graal, les raëliens et les adorateurs du soleil de la Fraternité
blanche universelle, sans parler d’André Dion et de sa famille qui, revêtus de
tutus et d’escarpins, flippaient sur les oiseaux dans des chorégraphies
sifflées qui vous donnaient effectivement le goût de migrer au bout du monde.
Ce bout du monde là, ça aurait pu être Drummondville qui
pour moi a remporté le championnat toutes catégories de l’originalité depuis
que je suis éditeur. C’était au début
des années quatre-vingt. Ça avait lieu
en même temps sur le même terrain, en l’occurrence en plein champ, à l’extérieur
même de la ville. Le Salon du livre se tenait sous un grand chapiteau, non loin
d’un pavillon dans lequel on faisait la traite des vaches. Plutôt qu’aux petits oiseaux d’André Dion et
de sa famille, on avait droit à la bouse, aux meuglements ou bien à un petit bœuf
boqué qui faisait faux bond à son gardien et voulait nous visiter, sans doute à
la recherche des « Vertes Collines d’Afrique » de M. Hemingway!
Ce fut ainsi fort bucolique pendant deux jours. Au troisième, le ciel nous tomba
littéralement sur la tête. Dans la nuit,
un gros orage frappa Drummondville et le chapiteau, qui avait été mal monté, se
mit à couler comme une passoire. On se
retrouva dans la boue jusqu’aux chevilles et, pour que les éditeurs puissent se
rendre à leurs stands afin de constater les dégâts, il fallut leur construire
des trottoirs de bois !
C’est cette même année là d’ailleurs que je fus poursuivi
par le plus étrange personnage jamais rencontré au cours des trente ans que j’ai
passés dans les Salons du livre. En ma
qualité d’éditeur, je participais bon an mal an à une dizaine de ces
manifestations, de Hull à Trois-Rivières, de Montréal à Rimouski, de Sherbrooke
à Québec. J’eus donc droit plusieurs
fois à la visite d’originaux et de détraqués, mais personne n’arrivera jamais à
la cheville de cette auteure schizophrène qui courut après moi toute une année
durant.
Ça commença d’abord à la maison d’édition. Un jour, une femme y vint, sous le prétexte d’un
manuscrit à me présenter. Elle n’était
pas assise devant moi depuis trente secondes qu’elle me dit : « Je n’aime
pas les vibrations qu’il y a ici. Est-ce
qu’on peut aller ailleurs ? » Je l’emmenai
donc au restaurant. Une fois qu’on s’y
fut retrouvés assis, la femme sortit un petit miroir de son sac, déchira un
coin de napperon, en fit une boule qu’elle trempa dans un verre d’eau, puis
elle colla cette boule-là en plein milieu du petit miroir et me demanda de la
regarder fixement pendant trente secondes.
Après, elle me dit : « Est-ce que ça va mieux maintenant ? »
Je lui répondis : « Je ne me sentais pas mal tantôt. Là, c’est pas mal pareil ». Comme si elle avait eu un ressort sous elle,
la femme se leva, me pointa du doigt et, toute contractée du visage, s’écria :
« T’es pas tanné de vivre dans ta merde ? Penses-y comme il faut parce que
c’est la dernière fois que je te le dis! »
Elle vira ensuite carré et sortit pareille à une furie du
restaurant. Ça avait été rien de moins que
délirant, mais je ne trouvai pas autre chose à faire que de refouler dans ma
mémoire cet épisode farfelu de ma vie d’éditeur.
Le problème, c’est que commença la samba des Salons du
livre. Je remplissais mon station-wagon
des ouvrages que je publiais et je sillonnais le Québec comme un peddleur de
vieux chaudrons. Mais partout où je m’arrêtais,
je n’avais pas le temps de monter mon stand que l’étrange créature s’arrêtait
devant, me regardait de ses yeux exorbités et, de sa mains levée dans celle de
l’espèce de gorille qui l’accompagnait, me criait : « T’es pas tanné
de vivre dans ta merde ? Penses-y comme il faut parce que c’est la dernière
fois que je te le dis! » Elle
disparaissait aussitôt jusqu’au Salon du livre suivant. C’était hallucinant, de quoi ne pas
comprendre tous ces écrivains qui , interviewés à la télévision, n’en finissent
pas de dire qu’il aiment les Salons du livre parce que ça leur permet de
rencontrer enfin leurs véritables lectrices et leurs véritables lecteurs !
Yves Thériault, que j’ai accompagné dans plusieurs Salons du
livre, était plus prosaïque. Pour lui,
un Salon n’était rien d’autre qu’une occasion de vendre davantage de
livres. Comme il trouvait l’atmosphère
des Salons généralement trop constipée pour lui, il avait toujours plein d’idées
pour les animer. À la fin des années
soixante, il proposa à Jacques Hébert de se faire enfermer dans une cage de
verre au beau milieu de la salle d’exposition de la Place Bonaventure. Emprisonné vingt-quatre heures par jour dans
cette cage de verre, Thériault voulait écrire un roman qu’un imprimeur aurait
composé en simultanéité puis imprimé avant la fermeture du Salon. Vers la fin du dernier jour, Thériault serait
sorti de sa cage de verre pour lancer officiellement son fameux roman. De peur de se faire accuser de ravaler l’écriture
au rang d’un cirque forain, Jacques Hébert ne donna pas suite au projet de Thériault. Quelques temps avant sa mort, l’auteur d’« Agaguk »
m’en parlait encore comme d’une formidable occasion manquée.
Pour démontrer que les auteurs ne sont pas toujours aussi
honnêtes qu’ils le disent quand ils prétendent mettre la littérature au-dessus
de tout, même dans les Salons du livre, une dernière anecdote qui concerne
encore Yves Thériault. Dans tous les
Salons du livre que nous faisions ensemble, nous avions pris l’habitude de
parier : qui de Thériault ou de moi vendrait le plus grand nombre d’ouvrages
? Bien évidemment, Thériault l’emportait tout le temps sur moi, sauf en 1983 où
je l’ai battu en utilisant un stratagème dont je me gardai bien de lui révéler
le secret. Mon ami Ben Weider dédicaçait
l’un de ses ouvrages sur napoléon au stand de Leméac situé presque en face du
nôtre. J’allai le voir et lui demandai
son aide pour venir à bout de Thériault.
Ben Weider embarqua dans le jeu et m’envoya tous les lecteurs qui lui
rendaient visite. Je pris donc
rapidement une bonne avance sur Thériault.
Mais le vieux lion avait plus d’un tour dans son sac à
malices. Aussi adopta-t-il une stratégie
qui a bien failli lui donner la victoire.
Assis derrière sa table, Thériault autographiait sans que personne ne le
lui demande l’un de ses livres. Puis il
levait la tête et interpellait ainsi quelqu’une des bonnes dames qui défilaient
devant lui : « Henriette ! Mais passe pas tout droit! Viens voir ton
vieux chum, voyons! » La bonne dame s’approchait, Thériault lui rappelait
de prétendus souvenirs communs et, quand son interlocutrice protestait qu’il y
avait erreur sur la personne, le sacripant rétorquait : « J’aurais
pourtant juré qu’on s’était déjà vus quelque part. Mais ça me fait quand même bien plaisir de
vous offrir mon livre autographié! » Il le mettait dans la main de la
bonne dame qui, gênée de lui déplaire, se sentait obligée de passer à la
caisse!
Il y aurait plein d’autres choses à raconter sur la petite
histoire carnavalesque des Salons du livre tels que je les ai vécus depuis
trente ans. Mais malgré que le monde ait
bien changé, y compris dans notre façon d’aborder le livre à l’occasion de ces
grandes manifestations dites culturelles, quelque chose n’a absolument pas
bougé depuis 1968 : s’ils sont un peu moins outrecuidants et
condescendants qu’autrefois, les Français contrôlent toujours 80% du marché
québécois du livre. Ce qui explique
peut-être pourquoi notre édition nationale, même dans les grands Salons du
livre, est toujours considérée comme complémentaire de la seule vraie, la
française. Tout le reste n’est
fondamentalement qu’anecdote et littérature, comme mon texte. "
c'est folklorique, dis don
RépondreSupprimermoi, chuis jamais allé dans un salon du livre
j'aimais pas les endroits ou y'avait trop de monde. quand je faisais mes courses, je me faisais à moitié dessus en espérant que personne ne m'ait croisé en état d'ébriété la veille ou quelques jours auparavant
allé, je fatigue, adieu
RépondreSupprimermoi je ne suis jamais allée au salon du livre. Et comme c'est de pire en pire, je crois bien que j'irai jamais.
RépondreSupprimerVa manger une croûte et reviens si tu veux.
Au fait Médou, il ressemblait à lui : http://hpics.li/2facb5f ?
pas tout à fait.
SupprimerTu mets cette citation entre guillemets
RépondreSupprimeret italiques et je te ferai le baise-main
en retour ma chère.
Honore-le si tu le cites.
On ira ensemble au Salon un jour,
si tu le veux en ma compagnie.
Nous discuterons du bout de gras
ou des livres à loisir et/ou satiété.
Merci.
petit salaud, va!
SupprimerOKI Yvan, je mets des guilmets drè là.
RépondreSupprimerCe serait plaisant de t'accompagner pour sûr. Merci !
Merci encore.
RépondreSupprimerça fait combien d'années que je suis bloqué ici dedans ?
RépondreSupprimerje savais bien que le monde était méchant, mais ça servait à quoi d'en rajouter ? on avait tous peur.
si j'avais fait un bep hotellerie, ça m'aurait évité le cinéma.
t'as beau dire ce que tu dis, je sais ce que je sais.
le boire et le mangé
cher raymond, je te souhaite une bonne continuation.
RépondreSupprimertu comprends beaucoup de choses malgré que t'es un batracien
maintenant que je peux faire du sport,
je pense que je vais aussi changer de vie.
peut-être que des gens que j'aie insultés à tort viendront me tuer pour assouvir les plans des bas instincts de promoteurs ancestraux des fous aux cheveux jaunes, mais si c'est ainsi, je préfère profiter de mon nouvel horizon en attendant. et arrêter de me désespérer sur mon sort de femme objet male fatalement ostracisé par les anti rabis amorites aryens
adieu
rainette, je comprends mieux qui je suis, et ce que je veux, dans le fond.
RépondreSupprimermerci
tu fais du sport en fumant des clopes, pas trop concluant ! xx
RépondreSupprimerdans les années 90, rick et josé avaient croisé haïni, ou EYni, ou Aini, un baba cool frileux bronzé venu se ravitailler de son grand nord dans le grand sud. ce dernier avait dit, une fois : "j'aime tout ce qui rentre et sort de mon corps", mais rick, qui était obsédé par son trou du cul, avait compris qu'il parlait de sodomie.
Supprimerla corruption de l'esprit du mangé par le petit trou
pi toute façon, le ciel, c'est nous.
RépondreSupprimerils peuvent pas changer ce qui est.
RépondreSupprimerc'est juste leur regard qui pue.
c'est de la belle poésie JP et juste. De la poésie brute, tes derniers coms m'ont flabbergasté.
RépondreSupprimerbiensur, merci :
Supprimerhttp://www.youtube.com/watch?v=PQgZYYHCSfY
rérén tu sais que je suis ton gourou, hein ?
RépondreSupprimeralors envoie ça :
http://www.youtube.com/watch?v=0CeGHhobHww&feature=related
en clip-video-en-tête de ton blogue... paske...
je me morfonds (et vire putine)
PARDON-abject... petite recherche de cailloux insignifiante dans la cours
il n'y a pas de neige par chez-vous ? Ici les cailloux sont recouverts de neige.
RépondreSupprimerBin oui je sais que tu es un gourou. Vas-tu enfin m'accepter dans ta secte de la mort ?
http://www.youtube.com/watch?v=U_Li5QEhKKI
RépondreSupprimerhttp://www.youtube.com/watch?v=_V-b8QIYOpM
RépondreSupprimerhttp://www.youtube.com/watch?v=RVc4FV1-6c4
RépondreSupprimerhttp://www.youtube.com/watch?v=rE-aBIaUSVg&NR=1&feature=fvwp
RépondreSupprimerhttp://www.youtube.com/watch?v=w6ztgjtg0mQ
RépondreSupprimerhttp://www.youtube.com/watch?v=EZgmJ0WTByw
RépondreSupprimergaetan bouchard est un con
RépondreSupprimerbise
je l'aime bien moi Gaëtan. Faudrait donner des raisons pourquoi tu le trouve con. à mon avis il est pas con du tout le Gaëtan
RépondreSupprimerJe ne verrai plus les salons du livre de la même façon!
RépondreSupprimerGrand-Langue
Idem pour moi ! Ce texte a été écrit en 2001, j'ose espérer que ça a beaucoup changé . Une chose est sûre, c'est mon carnavalesque.
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